mercredi 4 octobre 2023

Micah Thomas au révélateur...


Il se passe visiblement beaucoup de choses dans la caboche du pianiste Micah Thomas. A tel point que le musicien (même pas trentenaire) semble sur le point de repousser les frontières du champ des possibles du trio piano/basse/batterie ; un territoire dont on pensait qu'il avait pourtant été exploré de fond en comble par tous ceux qui avaient contribué à bouleverser ses codes, de Corea à Jarrett, en passant bien entendu par Monk et Bill Evans (voire Brad Mehldau).

Micah Thomas n'ignore à l'évidence aucune de ces révolutions. Il n'est ainsi pas rare d'entendre, nichée dans son jeu, au détour de quelques phrases, d'inflexions mélodiques, une référence directe à tel ou tel autre géant de l'exercice. Cela ne fait pas pour autant de Reveal, son dernier album paru sur le label belge [PIAS], un catalogue savant de compositions à la manière de. Une succession d'exercices de style plus ou moins raffinés. Micah Thomas est de ceux qui explorent sans cesse, se servent des maîtres non pour les tuer symboliquement, mais pour approfondir l'héritage qu'ils ont bien voulu nous laisser. Et je crois ici employer un euphémisme.

Il faudra peut-être attendre pour commencer à bombarder les grands mots mais nous tenons peut-être là un génie. Micah Thomas en a du reste toutes les caractéristiques. L'extrême précocité pour commencer... Natif de l'Ohio, il commence à pianoter, à l'oreille, dès l'âge de 2 ans, ce qui incite en toute logique ses parents à lui trouver un support pédagogique. Bien entendu diplômé de Julliard, comme il se doit, il a déjà (à seulement 26 ans) marqué les esprits à l'occasion de la sortie de ses deux premiers albums (Tide, sorti en 2020, et Piano solo, en 2022). Seuls les amateurs de jazz qui vivent dans une grotte n'en ont pas entendu parler. Reveal est pourtant un pas de géant par rapport à ces deux précédentes productions.

Un constat que l'on fait dès le premier titre de l'album, Little Doctor, remarquable par son syncrétisme, et qui ne fait que se renforcer à mesure de l'écoute. Prenons Lightning. Thomas n'est sans doute pas le premier à composer sur la base de motifs circulaires. Mais on a rarement ressenti autant de plaisir à se perdre de la sorte. On ressort de ce titre à la fois réjoui et éreinté. L'expérience va plus loin sur la composition qui clôt l'album, Denardirn. Enigmatique, envoutante, hypnotique, démente de cohésion créative. Et il faut sans doute, ici, saluer la pertinence des intuitions des autres membres du trio, le contrebassiste Dean Torrey et le batteur Kayvon Gordon. Cette union rare, cette capacité du trio à dénicher de nouveaux espaces, on la retrouve sur le morceau le plus simple (en apparence) de l'album, Sacred Memories, d'une beauté inspirante, mais également clé de compréhension de ce disque qui ne cesse d'activer nos neurones et d'aiguiser notre sens de l'orientation.

On ressort de cette écoute, pour tout dire, un peu chamboulé, pas tout à fait certain d'avoir saisi toutes les subtilités de ce que l'on a entendu. Reveal ramène l'auditeur (parfois pointilleux) à une forme d'humilité. Sentiment qui ne peut que se renforcer quand on prend conscience que Thomas ne vient de sortir que son 3e album et qu'il n'a pas fini de nous parler et de repousser les limites d'un monde dont on pensait presque tout connaître.


Micah Thomas trio - Reveal (PIAS)

Piano – Micah Thomas

Bass – Dean Torrey

Drums – Kayvon Gordon