mercredi 18 octobre 2023

Billy Mohler ou la science du rayonnement...


Après l'excellentissime Anatomy sorti l'an dernier, le contrebassiste Billy Mohler est de retour avec un 3e album en qualité de leader : Ultraviolet. Edité par le label indépendant Contagious, ce nouveau disque, tout comme le précédent ne sera pas distribué en France. Est-ce scandaleux ? Dans la mesure où Billy Mohler est (avec Clark Sommers) le contrebassiste le plus excitant et créatif du jazz actuel...ça l'est.

A travers l'histoire, on peut aisément se rendre compte que le jazz n'a pas été avare en matière de grands compositeurs contrebassistes. Mais à l'évidence, Billy Mohler a ce petit quelque chose en plus qui le place un poil au-dessus d'une grande partie la concurrence. Et c'est peut-être lié à la proximité particulière qu'a le musicien avec son instrument. Car Mohler en a sué pour obtenir le droit de devenir contrebassiste. Bassiste électrique en premier lieu (passé d'ailleurs par la pop (et parfois pas forcément la meilleure)), ancien ado ne rêvant que de surf et de skate, étudiant ensuite au Berklee College of music de Boston, le californien est passé à la contrebasse sur recommandation d'un de ses professeurs, Whit Brown. Recommandation plus facile à formuler qu'à mettre en pratique quand on ne dispose que d'un compte en banque balayé par tous les vents. Heureusement, certaines suggestions suscitent parfois des pulsions de mécène. Le même Whit Brown crut en tout cas suffisamment en Mohler pour l'aider à se payer un instrument, remboursé au fur et à mesure des gigs effectués par son élève.

L'autre élément qui différencie Mohler du tout venant, c'est sa manière de composer. Il livre lui-même les secrets de son approche - et elle ne surprend pas, à l'appui des écoutes multiples de ses compositions. Certains contrebassistes se déportent au piano pour composer ? Mohler se cramponne quant à lui à son instrument et compose le plus souvent à partir d'une ligne de basse. Plus ou moins alambiquée, plus ou moins percutante. Et c'est cohérent ; les meilleures architectes pensent d'abord les fondations avant les jolies moulures destinées à agrémenter les faux plafonds. Oui, cela s'entend, sur quasiment tous les morceaux d'Ultraviolet. Sur le titre éponyme, avec sa ligne très pop (dans le bon sens du terme), socle circulaire d'une composition qui nous évoque quasi instantanément le souvenir de Wayne Shorter. Sur Evolution, et son ouverture oscillant entre posture bop et accord à la Garrison. Sur Aberdeen qui justifie la pertinence de cette approche en nous permettant de saisir les mécanismes organiques du travail de composition de Mohler tout en mettant parfaitement en lumière le lien étroit entre architecture rythmique et atmosphère.

Accompagné d'un quartet à l'unisson (intégrant le batteur Nate Wood, l'excellent Shane Endsley à la trompette et Chris Speed au sax) Mohler fait tout ce qu'il peut pour faire galoper son imagination. Il serait grand temps que, de ce côté-ci de l'Atlantique, nous galopions à notre tour pour lui faire un peu de place au sein d'un marché trop frileux.


N.B. Les productions de Billy Mohler ne sont certes pas disponibles sur les canaux de distribution européen. Il reste toutefois possible de faire figurer ses galettes dans nos collections via le Bandcamp de l'artiste.