lundi 25 septembre 2023

Matt Carter octet : une ligne peut en cacher une autre


Autre expression d'une jeunesse plus que radieuse : le tout premier disque du pianiste britannique Matt Carter. Originaire d'Exter, le minot est sorti diplômé de la Royal Academy of Music de Londres. Outre les cachetons compréhensibles - et qui susciteront notre indulgence - obtenus auprès de vedettes parfois douteuses de la pop anglaise, sa formation sur le tas s'est complétée aux côtés de pointures plus attestées comme Dave Holland ou Chris Potter. Et bien sûr, au sein de l'atmosphère, tantôt feutré tantôt moite, mais toujours formatrice, des clubs londoniens.

C'est chez Ubuntu qu'est sorti en juillet dernier l'enregistrement de ces premiers pas, très assurés, et surtout fignolés, en octet s'il vous plait. Le titre est savoureux - Read Between the Lines - et n'est pas démenti par une capacité absolument établie à maîtriser l'art délicat de l'arrangement. Que ce soit sur quelques standards (en particulier, Girl Talk de Neal Hefti à l'atmosphère élégante, entre dépouillement et exubérance) ou sur des compositions personnelles : mention pour Hope Song qui réussit à concentrer en son sein une ligne mélodique teintée de lyrisme et une approche quasi hard-bop par moments.

Ce qui impressionne par ailleurs dans ce premier album, c'est le goût manifeste du partage qui semble le guide. Cet octet obéit au doigt et à l'œil à un jeune leader qui le lui rend bien en lui offrant de belles libertés. Ce qui, en fin de compte, permet à l'ensemble de déployer une force collective remarquable, mais aussi de créer des bulles d'isolation pour les solistes les plus délicats de l'aréopage ou encore de marier les atmosphères sans rupture du continuum musical (Like it or not).

Il est difficile de savoir si Matt Carter va réussir à voyager avec cet octet de gens tout ce qu'il y a de plus sérieux. Les scènes jazz sont petites et rechignent souvent à payer 8 musiciens... Une chose est certaine, on ne se ferait pas prier pour voir tout ce beau monde sur scène.


Matt Carter octet - Read Between the Lines (Ubuntu)

Piano – Matt Carter

Bass – Joe Lee

Drums – Luke Tomlinson

Trumpet – Geroge Jefford

Tenor sax – Tom Smith

Baritone sax – Harry Greene

Alto sax – Jonny Ford

Trombone – Harry Maund

Flute – Gareth Lockrane

jeudi 21 septembre 2023

Shuteen Erdenabaatar : étoile montante

©Luca-Zambito


Louée soit la jeunesse. Quand, en dépit des tourments qui l'accompagnent, elle parvient à libérer pleinement son souffle, ses espérances déraisonnables et ses emportements orageux. On retrouve certainement un peu de tout cela à l'écoute du tout premier album (Rising Sun, édité par le prestigieux label Motema) de la pianiste d'origine mongole Shuteen Erdenebaatar, 25 ans certes, mais déjà mure d'un exil qui vous forme toujours un peu différemment - nécessairement - des autres.

Née à Ulaanbaatar mais installée à Munich depuis 2018, la musicienne a visiblement grandi à vitesse Grand V. Imprégnée d'une formation classique qui s'entend sans dénoter à chaque phrase, à chaque changement d'accord, à chaque intuition, parfaitement accompagnée de trois musiciens sensibles au sein desquels on ne peut que remarquer (et saluer) l'élégante virtuosité du saxophoniste Anton Mangold, Shuteen Erdenabaatar décline, l'air de rien, des compositions mouvantes et même parfois déchirantes.

Tout le long de Rising Sun, les influences se marient sans désaccord. Sur Saudade, qui nous fait grâce d'une ténébreuse ouverture à la contrebasse avec archet (contrebasse tenue par le profond Nils Kugelmann), on entend ici Debussy, là Chopin et finalement, rameuté par l'alto de Mangold, le fantôme d'Art Pepper, période tardive ; celui-là même qui fouillait nos entrailles sentimentales en reprenant dans la veine de Roberta Flack - mais sans paroles - Ballad of the sad young men. 

Sur In a time warp, c'est sans doute, très subtilement apportée, un peu de la Mongolie natale de la pianiste que l'on entend. Ce qui, peut-être, explique le titre de cette merveille de composition et d'introspection, évoquant frontalement la distorsion temporelle ; celle qu'expérimentent peut-être les déracinés, sans cesse ici et là, sans être jamais tout à fait nulle part, coincés dans un présent chancelant, sans cesse alourdi par les voix et les mélodies du passé. Le choix du soprano par Mangold (comme celui de la flute sur le titre An answer from a disaster) ne pouvait être plus opportun. Le soprano supersonique de Mangold, on le retrouve du reste dans un tout autre genre, sur Ups and Downs, qui démontre que ce quartet en a sous la semelle, et maîtrise l'art de la fugue ou de méthodes d'improvisation débridée donnant limite le tournis.

Voilà un bien grand premier disque...


Shuten Erdenebaatar - Rising Sun (sortie : 20 octobre 2023) 

Shuteen Erdenebaatar - piano

Nils Kugelmann - contrebasse

Valentin Renner - batterie

Anton Mangold - soprano saxophone,  alto saxophone, flute