mardi 5 mars 2024

Lage de raison...


Même si le gamin fut le protagoniste d'un documentaire alors qu'il n'avait que 9 ans, c'est tout de même au vibraphoniste Gary Burton que l'on doit la découverte de Julian Lage. Sur l'album Generations. Au moment de l'enregistrement, Lage n'a que 15 ans. Aujourd'hui, le guitariste est trentenaire. Un peu plus que cela puisque ce natif du 25 décembre a eu 36 ans il y a quelques mois.

Entre l'enregistrement de cette session avec Gary Burton - dont l'oreille fine est réputée pour identifier en quelques secondes les futurs grands - et aujourd'hui, la maturité a fait son œuvre. Et plutôt bien, il faut le dire. Lage est désormais armé de cette sorte de résolution qui permet aux musiciens de valeur de savoir quel chemin il leur convient d'emprunter. 

Ceci étant dit, on distingue une continuité dans la carrière de Lage, de son tout premier album, Sounding Point, publié chez EmArcy en 2009, à la sortie toute récente de ce 4e album pour le label Blue Note,  intitulé Speak to me. Une continuité et même une belle constance. La constance de la sensibilité, certes. Mais aussi, une constance dans la volonté de multiplier les formes. Chose remarquable, dès les toutes premières notes de ce disque, on sait avec certitude que l'on va écouter un grand disque. On n'accouche pas d'une telle entrée en matière sans consistance particulière. Il y a de la solennité dans Hymnal (qui signifie Cantique en anglais) : une belle et légère solennité. Et cette aptitude toujours aussi remarquable à penser les accents, à appuyer là où ça fera du bien. C'est le même charme qui agit 4 titres plus loin sur Myself around you, exercé solo à la guitare acoustique ; performance étourdissante de toucher qui marie tant d'influences (classique, flamenco, californienne, issues du folk américain...) qu'il serait impossible de toutes les citer. Il n'est pas si facile de suivre Lage qui, ici et ailleurs, ne cesse, en effet, d'être tout autour de nous, de nous envelopper sans douceurs factices. Le suivre, c'est comme lire un grand auteur ; se laisser porter par tout ce que son œuvre contient de conscient, d'acté, de résolu mais aussi par tout ce qui parle malgré lui, par tout ce qui transpire naturellement de son identité.

Cette dualité, qui est celle de tout musicien et, en fin de compte, de tout être humain, ne semble pas loin d'être revendiquée par le musicien. Speak to me, aux influences clairement Zorniennes, est par exemple un bel exercice de liberté, de discours direct. A l'autre bout du spectre, la composition Vanishing Points est une pièce qui brille par sa maîtrise, sa contention ; qualité soutenue par l'apport précieux de Dave King et de Jorge Roder (membres habituels du trio de Lage) et par le sous-texte tout en finesse du saxophoniste Levon Henry. Tiburon fait quant à lui la synthèse de ces deux êtres qui cohabitent en chacun de nous. On en revient ainsi à la maturité ; car il en faut pour retenir voire ordonner tout ce qui fait une identité afin de lui permettre de s'exprimer pleinement, sans parasite, mais aussi sans rigidité excessive. Disque après disque, Julian Lage ne cesse de progresser vers une destination qu'il est sans doute le seul à connaître. Chaque voyage qu'il entreprend semble plus riche que le précédent. A tel point que l'on finira sans doute, un de ces 4, par manquer de qualificatifs. Ne nous reste en ce sens qu'un pied de nez en forme de démission : est-on vraiment obligé de mettre des mots sur tout ?