vendredi 25 août 2023

Ride me, chauffeur...


Il y a 50 ans, le 6 janvier 1973 pour être exact, le temps nous privait de la guitariste et chanteuse Memphis Minnie, pionnière de ce blues bien marécageux qui, tout au bout d'une patiente réaction en chaîne, finirait par aboutir à la naissance du rock n'roll ; par des moyens à la fois directs et détournés.

Née le 3 juin 1897 à Tunica County, minuscule bourgade du Mississippi, ainée tempétueuse de 13 rejetons, Memphis Minnie commence sa carrière sous le nom de Kid Douglas : association d'un surnom attribué par la famille, et de son authentique patronyme. C'est en quittant le cocon familial à l'âge de 13 ans - en le fuyant, faudrait-il dire - pour atterrir à Memphis que la chanteuse s'offre son nom de scène définitif. Elle joue alors aux coins de rue, fait des allers-retours entre Memphis et la petite ferme familiale, sortie de terre à Brunswick (Tennessee), lorsque ses poches sont vides. Et elles le sont souvent si bien qu'elle se résout à faire ce que font hélas beaucoup de musiciennes à l'époque. 

Au début des années 20, après une tournée au sein d'une troupe de cirque, elle survit ainsi en jouant sur Beale Street (lieu musical historique de Memphis) et en se prostituant. C'est en s'associant au chanteur Joe McCoy (qui deviendra son second époux) que sa carrière décolle enfin. Cette association et Beale Street vont lui permettre de se faire un nom, d'enregistrer pour Decca et Columbia (citons le titre When the Levee breaks, gravé en 1929 et démocratisé par Led Zeppelin en 71 dans le cadre de l'enregistrement du 4e album du groupe), de bouger à Chicago (après son divorce) et d'enregistrer (pour Okeh, majoritairement) plusieurs morceaux qui font aujourd'hui partie de la grande et tumultueuse histoire du blues, notamment Me and my chauffeur blues.

Nous sommes alors en 1941. Minnie a eu le temps de divorcer et se trouver un nouvel époux : le guitariste et compositeur Ernest Lawlars. Fini la vieille acoustique, bonjour la six cordes branchée sur courant alternatif. L'histoire s'écrit à toute vitesse. Et cette nouvelle union est fructueuse, d'un point de vue artistique en tout cas. Me and My Chauffeur Blues en est la preuve, avec ses paroles imagées (ceci n'est pas une voiture) et paradoxalement directes. Violentes (avec menaces de rétorsion) et sexuées, finalement fidèles à cette femme qui avait davantage que du caractère : du tempérament. Inscrite depuis 2013 au prestigieux National Recording Registry, on trouve plusieurs merveilleuses reprises de l'original. Une version de Big Mama Thornton (qui n'a jamais renié l'influence exercée sur elle par Minnie), enregistrée en 65, et qui sent bon le bouge. Une autre, plus tardive d'une année, gravée par Nina Simone (qui figure sur le mésestimé album Let it all out sous le titre raccourci Chauffeur) dégoulinante de groove et lorgnant clairement, sur un air volontairement plus fluide, du côté de Ray Charles.