jeudi 21 septembre 2023

Shuteen Erdenabaatar : étoile montante

©Luca-Zambito


Louée soit la jeunesse. Quand, en dépit des tourments qui l'accompagnent, elle parvient à libérer pleinement son souffle, ses espérances déraisonnables et ses emportements orageux. On retrouve certainement un peu de tout cela à l'écoute du tout premier album (Rising Sun, édité par le prestigieux label Motema) de la pianiste d'origine mongole Shuteen Erdenebaatar, 25 ans certes, mais déjà mure d'un exil qui vous forme toujours un peu différemment - nécessairement - des autres.

Née à Ulaanbaatar mais installée à Munich depuis 2018, la musicienne a visiblement grandi à vitesse Grand V. Imprégnée d'une formation classique qui s'entend sans dénoter à chaque phrase, à chaque changement d'accord, à chaque intuition, parfaitement accompagnée de trois musiciens sensibles au sein desquels on ne peut que remarquer (et saluer) l'élégante virtuosité du saxophoniste Anton Mangold, Shuteen Erdenabaatar décline, l'air de rien, des compositions mouvantes et même parfois déchirantes.

Tout le long de Rising Sun, les influences se marient sans désaccord. Sur Saudade, qui nous fait grâce d'une ténébreuse ouverture à la contrebasse avec archet (contrebasse tenue par le profond Nils Kugelmann), on entend ici Debussy, là Chopin et finalement, rameuté par l'alto de Mangold, le fantôme d'Art Pepper, période tardive ; celui-là même qui fouillait nos entrailles sentimentales en reprenant dans la veine de Roberta Flack - mais sans paroles - Ballad of the sad young men. 

Sur In a time warp, c'est sans doute, très subtilement apportée, un peu de la Mongolie natale de la pianiste que l'on entend. Ce qui, peut-être, explique le titre de cette merveille de composition et d'introspection, évoquant frontalement la distorsion temporelle ; celle qu'expérimentent peut-être les déracinés, sans cesse ici et là, sans être jamais tout à fait nulle part, coincés dans un présent chancelant, sans cesse alourdi par les voix et les mélodies du passé. Le choix du soprano par Mangold (comme celui de la flute sur le titre An answer from a disaster) ne pouvait être plus opportun. Le soprano supersonique de Mangold, on le retrouve du reste dans un tout autre genre, sur Ups and Downs, qui démontre que ce quartet en a sous la semelle, et maîtrise l'art de la fugue ou de méthodes d'improvisation débridée donnant limite le tournis.

Voilà un bien grand premier disque...


Shuten Erdenebaatar - Rising Sun (sortie : 20 octobre 2023) 

Shuteen Erdenebaatar - piano

Nils Kugelmann - contrebasse

Valentin Renner - batterie

Anton Mangold - soprano saxophone,  alto saxophone, flute