Pour son 8e album studio, Sigur Rós a fait les
choses en grand, célébrant joyeusement le retour du claviériste Kjartan
Sveinsson après un hiatus de 10 ans. Un hiatus qui, en dépit de la sortie de l'album Kveikur la même année, logiquement décevant, a mis le groupe entre quasi-parenthèses. Car c’est aussi le London Contemporary
Orchestra, ensemble philharmonique dont l’ambition est précisément d’investir
de nouveaux territoires - on les a déjà croisés (entre autres choses) aux côtés
de Radiohead sur l’album Moon Shaped Pool ou de Thom Yorke pour
l’enregistrement de la bande originale du remake de Suspiria) - que l’on
retrouve sur ÁTTA (huit en islandais), album dont les secrets ne se
perceront sans nul doute qu’à la faveur d’une multitude d’écoutes.
Si l’album est d’ores et déjà disponible sur les plateformes
de streaming, sa version physique attendra le mois de septembre. Mais quoi
qu’il en soit, le trio islandais a des fourmis dans les jambes et a profité de
l’été pour prendre la route. Le lundi 3 juillet, tout ce beau monde était à la
Philharmonie, dans le cadre d’un concert exceptionnel. La salle Pierre Boulez
était noire de monde. Un brouillard d’encens (d’église à en croire notre
odorat) s’était répandu largement dans l’enceinte, de la scène jusqu’aux
derniers balcons. La scène encombrée permettait d’identifier la place de
chaque membre du trio : disséminé certes mais pleinement immergé au cœur de l’orchestre. Ici
et là, surplombant plusieurs pupitres, on distinguait de petites
loupiotes s’apprêtant à briller sobrement dans la pénombre d’une salle préparée
pour se recueillir. Ce concert exceptionnel serait une cérémonie.
Deux sets et un entracte : mariant chacun nouvelles
compositions et titres plus ou moins emblématiques du groupe, voire plus ou
moins attendues (on pense à une interprétation splendide du morceau Alafoss
que l’on n’aurait pas forcément pensé à sa place dans une telle configuration).
Ce concert a dépassé les attentes, en dépit de quelques couacs de mise en
jambes (une guitare mal accordée sur Staràlfur, quelques ratés vocaux de
Jonsi (bien compréhensibles, eu égard aux exigences techniques élevées de son
chant)). Sigur Rós est bel et bien toujours ce groupe rare qui, derrière des
harmonies plus complexes qu’elles n’en ont l’air et des architectures
rythmiques souvent démentes de précision (ces mecs savent compter, on peut
l’attester (et cela se voit sur scène)) qui nécessitent une communication de
chaque instant et une empathie certes éprouvée par le temps, parvient à remuer nos
sentiments et nos organes palpitants. Les Islandais ont la science des débordements affectifs. Des belles
inquiétudes. On pourra les trouver bien sombres – ou pas follement optimistes –
mais ils savent aussi transmettre leurs espérances comme personne ; que
l’on songe au déchirant final pastoral de Sé Lest, grand moment de cette
représentation.
Les compositions du dernier album profitent grandement de la
scène. Ils y gagnent en ampleur, comme c’est souvent le cas avec le collectif
islandais. Si l’on a regretté l’absence du magnifique Mór, les
compositions Ylur et Skel, nichées au cœur de la seconde partie du concert, ont
livré quelques clés de compréhension. La direction assumée, prise par un groupe cyclothymique, qui a laissé de côté les fièvres des anciens tours de force (qui constituaient un
grande partie de la puissance magique du désormais légendaire Bracket album).
Dépouillé de toute rage, ÁTTA peut s’appuyer pleinement sur la science
mélodique de 3 faiseurs de miracle. Qu’on se le dise, Sigur Rós ne signe pas un
retour. Il écrit simplement l’un des nouveaux chapitres de sa grande histoire,
capturant au passage une partie non négligeable de la psyché des auditeurs. La
grande salle Pierre Boulez frissonne encore de ce concert clair-obscur ; les
fantômes sentimentaux de ceux qui ont un grand cœur resteront assis longtemps sur
leurs sièges, ignorant le retour des enveloppes de chair vers leur logis…